Jacques Parizeau 1930-2015

Le bon soldat

Montréal, 4 décembre 1981. Au congrès du Parti québécois, l’heure est aux règlements de comptes. Les militants n’ont pas encore digéré l’échec référendaire de 1980. Leur chef René Lévesque, quant à lui, se remet mal de la « nuit des longs couteaux », survenue un mois plus tôt, pendant laquelle neuf provinces se sont entendues avec Ottawa, en l’absence du Québec, pour rapatrier la Constitution. 

Au congrès, René Lévesque veut faire adopter une proposition sur une forme d’association économique avec le reste du Canada. Soudain, il aperçoit Jacques Parizeau se diriger vers le micro destiné à ceux qui s’y opposent. Il est abasourdi. Son meilleur soldat s’apprête à le provoquer en duel. 

Tout aussi surpris que le premier ministre, les militants réunis au complexe sportif Claude-Robillard applaudissent Jacques Parizeau à tout rompre. Au moment où l’influent ministre des Finances s’apprête à prendre la parole, un silence tendu s’installe. Tous sont suspendus à ses lèvres… 

« C’est sûr qu’à ce moment-là, Jacques Parizeau aurait défié l’autorité de René Lévesque. Mais en fin de compte, il ne le fera pas », raconte Jean Royer, qui faisait partie, à l’époque, de sa garde rapprochée.

En effet, Jacques Parizeau affirme… s’être trompé de micro. En réalité, il se ravise à la dernière minute, selon M. Royer. « On aurait récolté » s’il était allé jusqu’au bout. « Mais l’ovation qu’il reçoit à ce moment-là le met clairement en opposition à son chef. » Le parti, déjà fragilisé, risque l’implosion. « Il se rend compte que ce n’est pas possible. Alors il recule. »

C’est que défier son chef n’est absolument pas dans la nature de Jacques Parizeau, pour qui la loyauté est une vertu cardinale.

« Pour travailler avec lui, vous devez être loyal, toujours loyal. Même quand l’intérêt personnel commande de trahir, vous devez être loyal en tout temps. » 

— Jean Royer, ancien chef de cabinet de Jacques Parizeau

René Lévesque ne lui tiendra pas trop rigueur de l’incident du « mauvais » micro. « Superbe ministre, Parizeau était aussi un désarmant personnage, écrit-il dans ses mémoires, en 1986. Ambitieux, certes, trouvant le loisir d’organiser un réseau de ses fidèles, il s’est toujours targué d’être pourtant le “bon soldat” dont la loyauté demeurait indéfectible. »

Les deux hommes entretiennent « une relation étroite, mais pas intime », se rappelle Louis Bernard, ancien chef de cabinet de René Lévesque. Le fils d’Outremont et le bum de New Carlisle ont peu en commun. « On ne s’aime pas beaucoup, mais nous avons du respect l’un pour l’autre. Je n’ai jamais eu d’intimité particulière avec lui, puisque nous n’avons pas beaucoup d’atomes crochus », a expliqué Jacques Parizeau à son biographe, Pierre Duchesne. 

DÉMISSIONNER SUR UN « I »

En 1984, René Lévesque accepte une alliance avec son homologue fédéral, Brian Mulroney, qui s’engage à intégrer le Québec, « dans l’honneur et l’enthousiasme », au sein de la Constitution. « Si le fédéralisme devait fonctionner moins mal et même s’améliorer, est-ce que cela ne risque pas d’étouffer un peu notre option fondamentale et de renvoyer la souveraineté aux calendes grecques ? Il y a un élément de risque, mais c’est un beau risque et nous n’avons pas le loisir de le refuser », dit René Lévesque. 

Pour Jacques Parizeau, c’en est trop. « Il y avait entre eux une divergence profonde sur la façon de réagir à la défaite du référendum, dit Louis Bernard. M. Parizeau trouvait, et il n’était pas le seul, que M. Lévesque tournait la page trop vite. M. Parizeau et d’autres ont bien essayé de le convaincre, mais M. Lévesque, à ce moment-là, était malade psychologiquement. Il était devenu intolérant. Ses positions, c’était à prendre ou à laisser. Ce n’était plus le Lévesque que j’avais connu, qui était bon à trouver le moyen de raccommoder les gens. »

Dans une lettre aux ministres réfractaires, René Lévesque écrit qu’il faut « se résigner, en tout cas pour la prochaine élection, au fait que la souveraineté n’a pas à être un enjeu ». En conclusion, il se demande, sans pouvoir y répondre, quelle forme sera appelé à prendre « cet État-nation que nous croyions si proche et totalement indispensable ». 

Au dernier Conseil des ministres, le 21 novembre 1984, Jacques Parizeau demande à René Lévesque s’il a fait une faute d’orthographe. N’y a-t-il pas un « i » de trop dans ce « croyions » ? Le premier ministre, agacé, lui assure qu’il n’y a pas d’erreur. Pour Jacques Parizeau, c’est le coup de grâce. 

« Il démissionne parce que René Lévesque conjugue le rêve souverainiste à l’imparfait », dit Jean-François Lisée. « Lui, il y croit encore à cet État-nation. Il ne peut pas faire partie d’un gouvernement qui n’y croit plus. » 

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